20091001

La Nuit Sexuelle - Avant-Propos



















Jacques Joseph Coiny




Quand on sonde le fond de son coeur dans le silence de la nuit on a honte de l'indigence des images que nous nous sommes formées sur la joie.
Je n'étais pas là la nuit où j'ai été conçu.
Il est difficile d'assister au jour qui vous précède.
Une image manque dans l'âme. Nous dépendons d'une posture qui a eu lieu de façon nécéssaire mais qui ne se révélera jamais à nos yeux. On appelle cette image qui manque - l'origine -. Nous la cherchons derrière tout ce que nous voyons. Et on appelle ce manque qui traîne dans le jour - le destin -. Nous le cherchons derrière tout ce que nous vivons. C'est là que vont se perdre les gestes qu'on refait sans y prendre garde, les mêmes mots qui défaillent.
Je cherche à faire un pas de plus vers la source de l'effroi que les hommes ressentent quand ils songent à ce qu'ils furent avant que leur corps projetât une ombre dans ce monde.
Si derrière la fascination, il y a l'image qui manque, derrière l'image qui manque, il y a encore quelque chose: la nuit.




Il y a trois nuits.
Avant la naissance ce fut la nuit. C'est la nuit utérine.
Une fois nés, au terme de chaque jour, c'est la nuit terrestre. Nous tombons de sommeil au sein d'elle. Comme le trou de la fascination absorbe, l'obscurité astrale engloutit et nous rêvons en elle. Et si c'est par la nuit qui est en nous, interne, que nous nous parlons, c'est dans la nuit externe, quotidienne, qui semble à nos yeux venir du ciel, que nous nous touchons.
Enfin, après la mort, l'âme se décompose dans une troisième sorte de nuit. La nuit qui régnait à l'intérieur du corps se dissout dans un effacement que nous ne pouvons anticiper. Cette nuit n'a plus aucun sens pour s'absorber. C'est la nuit infernale.






















de Vinci



Ainsi y a-t-il une nuit éminemment sensorielle, totallement sensorielle, qui précède l'opposition astrale du jour et de la nuit. Il y a une nuit avant qu'apparaisse à nos yeux le soleil au débouché de la parturition. Nous procédons de cette poche d'ombre. L'humanité transporta cette poche d'ombre avec elle, où elle se reproduisit, où elle rêva, où elle peignit. Elle pénétra irrésistiblement dans les grottes obscures où elle tourna son visage vers des écrans blancs de calcite sur lesquels des images involontaires surgissaient et se mouvaient en suivant la projection de la flamme d'un flambeau. Des millénaires passent. Elles continuent de défiler dans des salles étranges, édifiées dans le sous-sol des villes, où la ténèbre n'est plus divine mais produite artificiellement.


















Achille Devéria




Ce n'est pas la lumière qui est tamisée dans la pénombre où les amants se dénudent. C'est l'obscurité première qui nous précède qui avance, qui progresse, qui se soulève en une immense vague qui revient sur nous.
Toute notre vie nous cherchons à passer la source choquante ( les deux nudités principielles ) au travers d'une espèce de tamis perceptif.
Grain à grain, au travers du tamis, le monde ancien se reconstitue jusqu'à inventer un récit ou former un tableau. Alors nous avons l'impression de voir ce qui n'est pas visible. De voir à l'intérieur de la nuit elle-même. Voir comme jadis. Voir avant que la lumière fût. Voir avant que la bouche connût l'atmosphère. Voir avant que le corps respirât.
J'évoque quelque chose qui est prochede la manière noire des graveurs. Ce tamis est une espèce de berceau.
Ce tamis dans les contes est le trou de serrure.




















Van Maele


Il s'agit d'un voir contraire au fait d'être ébloui. Voir comme quand on dénude l'autre. Voir comme quand on désobscure ce qui est recelé. Voir comme quand on exhume l'altérité sexuelle.
Alors la nudité devient visiblement nocturne.
Luisance où ne porte pas vraiment notre vue. Car notre vue ne porte jamais vraiment jusquà la scène qui nous fit et que nous répétons néanmoins sans fin au cours des étreintes où les corps s'additionnent et se redissocient. Brusque éclair comme le coup de foudre qui tombe longtemps avant que le tonerre gronde, longtemps avant que le chant s'élève, longtemps avant que la langue humaine se comprenne. Cette scène précède les corps encore sans existence qu'elle fabrique, qu'elle figure, qu'elle portraiture. Tel est le véritable sens du clair-obscur.Les peintres autrefois appelaient ces peintures des nuits. Les Romains disaient des lucubrationes. Ils y rangeaient toutes les activités qui ne s'exercent qu'à la lueur des lampes à huile. Ceux qui élucubraient dans les grottes enténébrées du jadis se livraient - et nous livrèrent pour des millénaires - à une quête infinie.
Aussi les images immémoriales, magdaléniennes, archétypiques, idolâtres, irrésistibles, hallucinantes, involontaires poursuivirent-elles leur vie nocturne au travers des générations de dormeurs comme l'humanité se multiplia au travers des générations de coïts - qui sont eux-mêmes des images zoologiques sidérantes inlassables.
J'éprouvais une joie inlassable à les collectionner.
Ce livre les rassemble.


Pascal Quignard




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